ETHNOLOGIE - Ethnographie

ETHNOLOGIE - Ethnographie
ETHNOLOGIE - Ethnographie

Chaque science possède, en fait, deux principales sphères d’activité superposées: travaux expérimentaux ou documentaires, d’une part, travaux comparatifs et analytiques, d’autre part, se fondant sur les premiers. Il en est ainsi pour les sciences exactes et naturelles comme pour la philosophie et les sciences humaines. L’anthropologie, ou plus exactement l’anthropologie physique dans son sens universel du XIXe siècle et dans son sens européen actuel, a besoin, pour ses analyses biologiques et raciales, des résultats de l’anthropométrie que la génération de Herder et des Humboldt nommait encore, à la fin du XVIIIe siècle, «anthropographie». De même, l’histoire comparée et pragmatique se base sur les données d’une «historiographie», dont la documentation extrêmement diverse va des textes antiques et médiévaux, des annales d’État et des archives aux mémoires intimes et aux informations journalistiques. La sociologie fait aussi état d’un domaine purement descriptif que Sebald Rudolf Steinmetz, à la veille de la Première Guerre mondiale, dénomma «sociographie», et que Jacob L. Moreno baptisa, avant la Seconde Guerre mondiale, «sociométrie». Les autres sciences humaines ne sont pas exemptes non plus d’une telle division interne, et, par exemple, les sciences économiques ont créé l’économétrie, les sciences politiques la démographie, et les interprétations des sciences juridiques se basent sur la matière concrète d’une codification législative et juridictionnelle. Une logique et une nécessité identiques sont à l’origine de l’existence, en ethnologie, d’une sous-discipline centrée sur un domaine documentaire spécial, l’«ethnographie».

1. Premières apparitions du terme et du concept

Certes, l’histoire de l’ethnographie, commencée par les périples ( 神﨎福晴神凞礼羽﨟, guide maritime) et les périégèses ( 神﨎福晴兀塚兀靖晴﨟, description géographique) helléniques décrivant les peuples méditerranéens et pontiques vers le IXe siècle avant J.-C., a parcouru un long et fructueux chemin jusqu’aux monographies de groupes modernes. Elle fait cependant partie intégrante de celle de l’ethnologie dont l’ethnographie elle-même n’est qu’une branche distincte. Il est donc tout indiqué de limiter l’historique de l’ethnographie à un examen purement terminologique et conceptuel.

Les ethnologues, de nos jours, sont unanimes à considérer l’ethnographie comme la partie descriptive de l’ethnologie. Une telle définition s’impose par suite non seulement du raisonnement présenté plus haut, mais aussi de l’étymologie de ce terme, le mot grec 﨎益礼﨟 voulant dire «peuple», «peuplade», «tribu», «peuple barbare»; le morphème 塚福見﨏晴見, «description», «dessin». Il n’en a pas été toujours ainsi, et, comme la plupart des concepts scientifiques, celui de l’ethnographie a subi une longue évolution avant d’en arriver à son interprétation actuelle. La science des groupes et cultures ethniques, appelée aujourd’hui «ethnologie» et dont les domaines et les devoirs furent précisés dans un sens moderne par Joseph-François Lafitau, en 1724, fut longtemps à la recherche de son nom. Giovanni Batista Vico la nomma, en 1725, scienza nuova , expression trop simpliste et trop générale pour qu’elle puisse désigner une discipline particulière.

Le terme d’ethnographie, proposé alors pour l’ensemble de cette nouvelle science avec une forte tendance géographique, apparaît pour la première fois, semble-t-il, en Allemagne, en 1791, dans le titre d’une Ethnographische Bildergallerie publiée à Nuremberg. En 1807, un certain Campl, d’après Jorge Dias, ou Camper, selon Paulo de Carvalho Neto, l’utilise dans l’acception de description des peuples, ce qui la rapproche de celle qu’a adoptée notre génération. À Weimar, en 1808, paraît un Allgemeines Archiv für Ethnographie und Linguistik ; l’historien Barthold Georg Niebuhr serait l’un des premiers à introduire ce terme dans le langage académique, en l’utilisant, en 1810, à l’Université de Berlin, dans ses cours publiés en 1811 sous le titre Römische Geschichte . À Iéna, en 1818, l’ancien rédacteur en chef du célèbre Minerva , Friedrich Alexander Bran, fonde la revue Ethnographisches Archiv , dont les quarante-quatre volumes consécutivement publiés représentent à peu près la même contribution à l’ethnologie moderne dans le domaine des observations que les nombreux cabinets de curiosités contemporains dans le domaine des objets d’intérêt ethnographique. De toute façon, la série impressionnante de ce périodique était suffisante pour que le mot et le concept d’ethnographie acquièrent droit de cité dans le milieu des lettres. En Europe centrale, c’est sans doute le Hongrois János Csaplovics qui implante cette notion, en 1820, dans une publication commentant un album de gravures des costumes populaires hongrois. Ethnographische Erklärung der von Oberstleutnant Heimbacher gezeichneten und in Kupferstichen herausgegebenen 78 ungarischen Trachten ... (Explication ethnographique des 78 costumes hongrois dessinés et gravés par le lieutenant-colonel Heimbacher ...). Au cours des années suivantes, les nombreuses publications de Csaplovics, surtout sa fameuse série d’articles «Ethnográphiai értekezés Magyarorszagról» (Dissertation ethnographique sur la Hongrie ), publiée dans la revue Tudományos Gyüjtemény (Recueil scientifique ) en 1822, et les discussions polémiques qu’elles provoquent généralisent l’emploi d’«ethnographie» dans tout l’Empire austro-hongrois. Dans les pays latins, l’Italien Adriano Balbi contribue à la vulgarisation de ce terme par son Atlas ethnographique du globe, ou Classification des peuples anciens d’après leurs langues , publié à Paris en 1826. Peu après, en 1929, Jules Poret de Blosseville, navigateur et explorateur bien connu à son époque, emploie cette expression dans un mémorandum pour la création d’un «musée ethnographique». En 1830, André-Marie Ampère introduit le mot «ethnographie», pour la première fois, dans une version de son célèbre tableau de classification des sciences, où le terme «ethnologie» ne figure pas. En Angleterre, l’édition de 1833 de Penny Cyclopaedia semble être la première à publier ce mot, faisant remarquer que le «terme ethnographie (description des nations) est utilisé par des écrivains allemands dans le sens que nous [les Anglais] donnons à Anthropographie ». Ce premier usage du terme «ethnographie» est caractérisé par l’ambition d’attribuer à celui-ci un sens général couvrant tout l’ensemble de l’ethnologie d’aujourd’hui.

La définition moderne de l’ethnographie est publiée et diffusée, pour la première fois, par le livre d’Ampère, Essai sur la philosophie des sciences ou Exposition analytique d’une classification naturelle de toutes les connaissances humaines , édité à Paris en 1834. L’un des plus brillants esprits de son temps, Ampère, octroie à l’ethnographie, parmi les sciences humaines, une place qu’elle conserve encore à l’heure actuelle. Il divise les sciences ethnologiques en deux disciplines: ethnologie et anthropologie. L’ethnologie se diversifie de nouveau en deux branches: l’ethnologie élémentaire dont l’ethnographie fait partie avec la toporistique, d’une part, et l’ethnologie comparée, d’autre part.

2. Interprétations naturalistes et folkloristes

La définition d’Ampère, pourtant claire et scientifiquement bien fondée, reste sans lendemain. L’incertitude, concernant la définition de l’ethnographie, est due à Paul Broca, chirurgien et anthropologue français, et à d’autres biologistes de la seconde moitié du XIXe siècle tels que l’Anglais James Cowles Prichard et l’Italien Enrico Morselli. Ils veulent réserver le terme «ethnologie» aux études purement raciales (anatomiques) et utilisent souvent le mot «ethnographie» comme synonyme d’«ethnologie», tout en étendant l’acception d’«anthropologie» aux études culturels, donc à l’ethnologie et, par conséquent, à l’ethnographie. La confusion qu’ils provoquèrent était plus que terminologique et paralysa (et paralyse encore) l’ethnologie, avec ses différentes branches, dont l’ethnographie, si bien que cette dernière n’a jamais pu obtenir la place universitaire et académique qui lui revient. Leur influence s’est reflétée surtout en France, jusqu’à la génération d’entre les deux guerres, où des personnalités telles que Louis Marin, Marcel Mauss et Marcel Griaule emploient le terme «ethnographie» dans le sens général d’«ethnologie». L’imprécision terminologique des naturalistes eut également pour effet que, dans quelques pays, le terme «ethnographie» désigne encore de nos jours l’ensemble de l’ethnologie. Tel est le cas de la Russie des tsars, puis de l’U.R.S.S. où toutefois quelques savants, de la vieille génération, et Sergei A. Tokarev, de l’école moderne, font exception en adoptant l’usage correct des deux termes. L’analyse et la critique de l’«anthropologisme» des pays anglo-saxons, issu de l’école naturaliste du XIXe siècle, nous écarteraient du problème de l’ethnographie. La manifestation de ce néo-encyclopédisme qu’aux États-Unis quelques savants consciencieux appellent anthropological phallacy est moins marquée dans les pays latins bien qu’elle y soit présente: l’«anthropologisation» de quelques musées ethnographiques sous l’égide des naturalistes, la fondation de quelques chaires ethnologiques intitulées «d’anthropologie» ou de chaires anthropologiques dénommées «d’ethnologie» sont plus souvent le résultat d’actions individuelles que l’illustration d’une prise de position scientifique collective. Elle touche la définition du terme et du concept d’ethnographie dans la mesure où certains biologistes revendiquent l’ethnographie en tant que «science naturelle».

Une confusion encore plus inextricable, si possible, suit les différentes prises de position des folkloristes en ce qui concerne la définition de l’ethnographie. Paul Sébillot, en 1886, entend par «ethnographie traditionnelle» l’ensemble des coutumes, des usages, des croyances, des superstitions, des livres de colportage et d’imagerie populaire, et il la distingue du «folklore» qui comporte la «littérature orale», c’est-à-dire contes, légendes, chants, proverbes et devinettes. Par contre, le folkloriste hongrois Lajos Katona, en 1890, considère l’ethnologie comme la science des lois universelles, l’ethnographie comme celle de la culture matérielle, et le folklore comme le domaine des traditions orales. Cette idée se répand ensuite surtout parmi les folkloristes scandinaves, finnois, estoniens et hongrois, bien que certains savants, tel Pal Hunfalvy, premier président de la Société d’ethnographie hongroise (1889), acceptent, dès 1876, une définition identique à celle d’Ampère. Ainsi, d’après une étude publiée en 1919 par le folkloriste suédois Karl Wilhelm Sydow, l’ethnographie embrasserait l’étude des formes et couleurs, des produits et de leur production, des types et détails techniques des différents objets – ce que l’ethnologue d’aujourd’hui considère comme culture matérielle –, tandis que le folklore couvrirait le monde spirituel du peuple. D’autres folkloristes, comme le Finnois Emil Setälä (1911) ou le Hongrois Sándor Solymosy (1926), s’associent à cette interprétation originale et destinent la culture matérielle à l’ethnographie, et «la masse des faits spirituels traditionnels» (Solymosy) au folklore d’ethnographie et le folklore dans le cadre commun de l’ethnologie.

Aucune de ces définitions folkloristes ne limitait cependant le domaine de l’ethnographie à une aire géographique ou à un niveau culturel quelconque de l’humanité. Folkloriste suisse, Eduard Hoffmann-Krayer (1902) ouvre une série de définitions bien différentes des précédentes. Il estime notamment que «l’ethnographie est simultanément l’histoire culturelle et la Volkskunde des peuples primitifs, tandis que l’histoire culturelle spécifique des peuples civilisés modernes lui reste étrangère [...]. Par contre, la Volkskunde s’étend aux peuples qui sont pénétrés par une civilisation moderne.» Les folkloristes français Arnold Van Gennep (1924) et Pierre Saintyves (1936) reprennent successivement cette idée et insistent sur le fait que l’ethnographie doit étudier tous les aspects matériels, sociaux et intellectuels de la culture, mais se borner aux «primitifs», c’est-à-dire aux «sociétés ignorant la tradition écrite», tandis que le folklore comprend les mêmes domaines, mais concerne «les classes populaires des pays civilisés» (expressions de Saintyves).

Dans la littérature folkloriste allemande, la définition de l’ethnographie est plus ou moins liée à des ratiocinations sans fin autour d’un singulier couple d’opposition terminologique, Volkskunde-Völkerkunde . Tous les folkloristes admettent que ces deux termes, caractéristiques de l’ethnologie germanophone, s’appliquent à deux domaines différents, mais il rattachent l’ethnographie tantôt à l’un tantôt à l’autre. Karl Knortz (1906) juge, par exemple, que l’ethnographie est synonyme de Volkskunde et inclut l’anthropologie, l’archéologie et l’ethnologie. Un autre folkloriste allemand, Wolfgang Steinitz (1953), estime que l’ethnographie est synonyme de Völkerkunde et qu’elle est «la science globale des études de tous les peuples». En Amérique latine, la définition de l’ethnographie par les folkloristes ne semble pas plus claire; il suffit, en effet, de lire le folkloriste diplomate Paulo de Carvalho-Neto: «Le fait folklorique est culturel, quel que soit le peuple dont il s’agit, mais sa principale caractéristique est d’être anonyme et non institutionnel, et, éventuellement, d’être archaïque, fonctionnel et prélogique. Le fait ethnographique, par ailleurs, est également culturel, et peut appartenir à n’importe quel peuple; il est aussi archaïque et prélogique, mais il n’est ni anonyme ni non institutionnel, parce que s’il l’était, il serait folklorique.»

3. Définitions ethnologiques modernes

L’ethnologie, de nos jours, accepte formellement la prise de position d’Ampère. À sa suite, il serait difficile de trouver une définition plus approfondie que celle de Shirokogoroff (1935), qui voit dans l’ethnographie une aide technique pour l’ethnologie. «La technique de l’ethnographie est bien avancée: l’ethnographe utilise sa connaissance technique, analyse linguistique, analyse psychologique, étude statistique si nécessaire, méthodes historiques, etc.; il n’a plus de préjugés en ce qui concerne le choix de ses faits et groupes ethniques, il est devenu objectif, il n’approuve pas ou ne désapprouve pas, il observe tous les complexes culturels, y compris l’ethnographie elle-même. Mais ce dont l’ethnographie a besoin est la théorie» et celle-ci, dit Shirokogoroff, lui est fournie par l’ethnologie. Pour Albert M. Bros (1936), «le mot ethnographie est surtout réservé à la description des groupements. L’ethnologie désigne plutôt la systématisation des groupements.» Bronislaw Malinowski (1941) estime que les travaux d’ethnologie et d’ethnographie doivent s’appuyer sur la théorie de la culture de deux façons différentes: «L’ethnologue, qui s’inspire des cultures contemporaines, primitives ou non, pour reconstituer l’histoire humaine selon l’évolution ou selon diffusion, ne peut fonder sa démarche sur des données scientifiques valides qu’à la condition de savoir ce qu’est réellement la culture. Enfin, l’ethnographe en campagne doit, pour observer, savoir ce qui est pertinent et fondamental, afin d’éliminer l’accessoire et le fortuit.» Wilhelm E. Mühlmann (1937), tout en admettant que l’ethnologie désigne l’ensemble de la discipline, précise que «l’expression ethnographie se borne à la seule collecte et à la description de la texture des faits». Dans un article ultérieur (1956), Mühlmann résume l’historique des descriptions ethnographiques et, arrivé aux travaux modernes, il constate: «La situation s’étend aujourd’hui de telle façon que la croissante spécialisation régionale des ethnographes ne s’oppose plus à aucune théorie ethnologique correspondante, et que les nouvelles connaissances décisives sont communiquées aux congrès africanistes, américanistes, finno-ougristes, orientalistes, etc., mais pas plus qu’aux congrès ethnologiques . Les ethnographies régionales nécessitent une intégration au moyen d’une ethnologie théorique que j’aimerais concevoir comme une sociologie différentielle et comparative des formations ethniques .» Marcel Mauss (1947) distingue une ethnographie extensive d’une ethnographie intensive. La première consiste «à voir le plus de gens possible dans une aire et dans un temps déterminés», et la dernière «dans l’observation approfondie d’une tribu, observation aussi complète que possible, aussi poussée que possible, sans rien omettre». La définition sommaire d’Alfred L. Kroeber (1948) se borne à noter que l’ethnographie est plus descriptive que l’ethnologie qui, elle, est plus théorique et plus historique. Celle d’un autre ethnologue américain E. Adamson Hoebel (1949) considère l’ethnographie comme «le fondement de l’ethnologie» et comme «relative à l’étude descriptive des sociétés humaines [...].

On attend des ethnologues modernes qu’ils gagnent leur éperon dans les travaux ethnographiques sur le terrain avant d’être pleinement qualifiés comme anthropologistes. Toutes les monographies ethnographiques possèdent un certain cadre théorique implicite dans leur constitution, mais elles ne s’occupent pas explicitement des problèmes théoriques. Julio Caro Baroja (1949) se révèle sceptique en ce qui concerne la définition stricte des termes d’ethnologie et d’ethnographie, et, dans ses publications, adopte uniquement le premier. «La signification vague du mot, loin d’être un inconvénient, est un avantage. On a prétendu préciser les concepts en employant le mot ethnologie pour désigner la science qui traite de la comparaison des peuples, et ethnographie pour celle qui en effectue la description. Je crois que de telles distinctions ont peu de valeur dans le domaine de l’investigation.»

D’après Claude Lévi-Strauss (1949), «l’ethnographie consiste dans l’observation et l’analyse de groupes humains considérés dans leur particularité et visant à la restitution, aussi fidèle que possible, de la vie de chacun d’eux; tandis que l’ethnologie utilise de façon comparative les documents présentés par l’ethnographie». La définition d’Alfred R. Radcliffe-Brown (1952) se réfère à l’histoire: «Le terme ethnographie s’applique à ce qui est spécifiquement un mode d’enquête idiographique, dont le but consiste à rendre compte d’une manière acceptable de tels peuples et de leur vie sociale. L’ethnographie diffère de l’histoire en ce que l’ethnographe tire sa connaissance, ou la majeure partie de celle-ci, de l’observation directe des gens au sujet desquels il écrit, ou de contacts avec eux, et non, comme l’historien, de sources écrites.» Branimir Bratani が (1956) accorde à l’ethnographie un domaine restreint: «Alors que, pour l’ensemble de la science et spécialement pour sa partie explicative et interprétative, il n’y a lieu d’utiliser que le seul nom d’ethnologie, on peut conserver aussi le nom bien connu d’ethnographie, mais seulement dans le sens le plus habituel pour la partie purement descriptive de cette science, et pour la collection de matériaux (par exemple, histoire, chroniques, annales).» Pour Jorge Dias (1956), «l’ethnographie signifie l’étude descriptive des cultures particulières ou des sections d’une culture. Elle n’est pas en soi une discipline à proprement parler, mais simplement un aspect inhérent de l’ethnologie.» Pour Charles Winick (1956), l’ethnographie est «l’étude des cultures individuelles. Elle est avant tout une étude descriptive et non interprétative.» De l’avis de Félix M. Keesing (1958), l’ethnographie est «la description des coutumes ou d’une culture spécifique, c’est-à-dire d’un genre de vie local», par contre, l’ethnologie est «dans un sens restreint, l’analyse de la similitude et de la différence entre cultures: le développement historique d’une culture, les relations entre cultures». Hermann Trimborn (1958) précise que «nous appelons ethnographie la description et l’ordre typologique de l’immense multiplicité» des aspects de la culture. Carl August Schmitz (1963), considérant l’ethnographie comme une partie de l’ethnologie, estime que «l’ethnographie – la description des peuples – doit avant tout fournir des données, à l’aide desquelles on puisse analyser le sujet de recherche». Walter Hirschberg (1965) définit l’ethnographie en tant que «description systématique des différents peuples et de leur culture; condition pour développer une connaissance ethnologique». D’après l’explication de Jean Cazeneuve (1967), «on appelle ethnographie la description minutieuse des groupes sociaux, et plus particulièrement des tribus primitives. Elle tend à présenter des monographies, des relevés à peu près complets de tout ce qui concerne une petite collectivité facile à isoler. Elle fournit ainsi les documents, les matériaux de base sur lesquels s’exerce la réflexion de l’ethnologue, qui les utilise de façon comparative et en tendant vers la synthèse.»

Le choix des définitions énumérées plus haut se limite à celles des ethnologues les plus marquants de la dernière génération savante. Beaucoup de ceux-ci, cependant, ou bien ne se sont jamais préoccupés de déterminer les caractéristiques de l’ethnographie, ou bien ont fourni une définition trop compendieuse (généralement la simple mention du caractère descriptif de l’ethnographie) pour mériter une attention particulière. Certes, une recherche minutieuse pourrait révéler, dans les manuels et articles spécialisés, plusieurs centaines d’autres définitions. Un tel échantillonnage doit suffire toutefois à démontrer la diversité d’aspects de l’ethnographie et à permettre de conclure.

4. Délimitation de la sphère d’activité

L’ethnographie a deux acceptions. Tout d’abord, elle est considérée comme partie d’une science mère, l’ethnologie. Elle n’est donc pas une discipline indépendante, mais une branche, une sous-discipline de l’ethnologie, à laquelle elle fournit des informations: observations, descriptions, documents, et des objets. Sa sphère d’activité comporte les travaux sur le terrain, donc les enquêtes ethnologiques, mais aussi ceux des laboratoires. Sa tâche déborde du domaine strictement documentaire et inclut les études typologiques et morphologiques, tout en laissant les analyses plus approfondies, fonctionnelles et structurales, à l’ethnologie. Elle possède une technique de travail propre pour le préparation des enquêtes (questionnaires et guides), pour le comportement des chercheurs durant les enquêtes (psychologie des informateurs, plus imposés et improvisés suivant les conditions données), pour l’enregistrement (machines optiques, phonétiques et cybernétiques) et pour une classification élémentaire des matériaux (archivistiques, muséographiques et bibliographiques).

Dans sa deuxième acception, l’ethnographie ou plus exactement «une» ethnographie est la description achevée, publiée ou manuscrite, d’intérêt ethnologique, d’une unité ethnique ou locale quelconque. Elle figure avec cette signification dans des titres d’ouvrage tels que Ethnographie des Tupi-Guarani , Ethnographie des Carpates , etc.

Quant au domaine scientifique de l’ethnographie, il coïncide par son ampleur avec celui de l’ethnologie. Ces deux disciplines se partagent en effet ce domaine selon leurs tâches spécifiques. Celui-ci embrasse les cultures spirituelle, matérielle et sociale; ne se limitant pas aux peuples «primitifs», il s’étend à la culture traditionnelle de toutes les unités ethniques extra-européennes, européennes ou d’origine européenne. Non par principe, mais dans le but d’un partage rationnel du travail, l’ethnographie (comme l’ethnologie) abandonne les recherches approfondies du langage et du comportement psycho-mental respectivement à la linguistique et la psychologie, sciences plus spécialisées et plus compétentes en raison de la formation de leurs chercheurs et de leur équipement particulier. D’autre part, l’ethnographie, aussi bien que l’ethnologie modernes excluent de leurs domaines de recherche toute investigation somatologique (raciale, biologique, anatomique) et elles la considèrent comme la tâche exclusive de l’anthropologie. Cela pour une raison de principe s’appuyant sur trois arguments: l’ethnologie n’est point une science naturelle, et la distinction entre culture et nature constitue l’un de ses déterminants fondamentaux; contrairement à un mythe scientifique bientôt deux fois séculaire, il est évident aujourd’hui que la division raciale de l’humanité ne correspond nullement à sa division ethnique donc culturelle, et s’il y a un rapport entre elles, il est extrêmement vague; le rattachement des variations culturelles à des variations raciales suppose ipso facto la dépendance mutuelle de ces variations, thèse erronée du racisme tendant à prouver que le niveau de développement économique ou moral d’un groupe ethnique est conditionné directement par ses caractéristiques raciales (l’idéologie officielle du national-socialisme faisait ses maîtres d’anthropologues tels que Joseph-Arthur de Gobineau, Francis Galton, H. S. Chamberlain et Otto Ammon, mais il aurait pu le faire, à juste titre, de tous les anthropologues introduisant des considérations anatomiques dans l’ethnologie et l’ethnographie).

Les dimensions temporelles du domaine ethnographique s’étendent vers le passé, donc leur ampleur est diachronique. Toujours dans le but d’une répartition intelligente des tâches, l’ethnographie (comme l’ethnologie) abandonne les recherches archéologiques à l’archéologie préhistorique et protohistorique. Par contre, pour une raison de principe, elle sépare formellement son domaine de celui de l’histoire événementielle.

Contrairement à l’opinion exprimée par quelques définitions citées plus haut, il n’existe pas d’ethnographes proprement dits, mais seulement des ethnologues pratiquant l’ethnographie. Car l’ethnographie suppose une solide formation ethnologique, et tout travail documentaire sur le terrain ou dans les laboratoires nécessite l’application des théories ethnologiques dans le choix des objets (phénomènes culturels) et des sujets (informateurs), et dans la façon d’observer et de considérer. L’enquête ethnographique approfondie fait appel au système de critères des théories de la valeur et de la connaissance de l’ethnologie, et les informations recueillies sans application de ces critères ont un intérêt moindre pour les analyses ethnologiques ultérieures. Il est donc tout à fait erroné d’imaginer une légion d’employés techniques inférieurs (ethnographes) travaillant au service des savants supérieurs (ethnologues), qui se contenteraient de superviser et d’élaborer des synthèses. La conception moderne impose une certaine activité ethnographique à tous les ethnologues. En pratique, l’ethnologue recueille lui-même les matériaux pour ses comparaisons et analyses, et divise ses activités entre le terrain et la table de travail. Cela n’exclut pas l’aide de collaborateurs techniques; mais ces derniers ne peuvent pas remplacer l’ethnologue dans son activité ethnographique.

Les différentes tâches spéciales de l’ethnographie ont entraîné le développement d’activités distinctes qui sont très souvent concentrées dans les laboratoires spécialisés: musées ethnologiques, archives ethnologiques (avec diverses collections particulières telles que cartothèques, iconothèques, photothèques, phonothèques), bibliothèques ethnologiques, centres nationaux de cartographie ethnologique basés sur des réseaux d’informateurs et établis dans la plupart des pays européens, et, enfin, des services de l’informatique. Les problèmes techniques se posent à ces institutions parallèlement à ceux des autres sciences, et se situent dans le cadre général des musées, des archives, des bibliothèques, des instituts cartographiques et laboratoires cybernétiques.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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